vendredi 24 août 2012

Le polar est Amour (5)


Carella aurait préféré qu'elle ne soit pas en noir.
C'était ridicule, il le savait bien. Une femme qui vient de perdre son mari s'habille en noir. Mais il se souvenait de longues conversations avec Hank, pendant les heures calmes, au service de nuit, quand Hank décrivait les chemises de nuit noires d'Alice. Carella avait beau essayer, il ne parvenait pas à dissocier dans son esprit ces deux images noires: le noir voluptueux de la lingerie intime, le noir sévère du deuil.
Alice Bush avait pris place, en face de lui, dans le salon de son appartement, à Calm's Point. les fenêtres étaient grandes ouvertes, et l'inspecteur voyait se profiler, contre le bleu impitoyable du ciel sans nuages, les hautes structures gothiques d'un collège voisin. Il avait travaillé pendant des années au côté de Bush, mais c'était la première fois qu'il pénétrait dans son appartement. Il se sentait gêné  devant les images qu'évoquait pour lui la robe noire d'Alice.

Madame Bush s'était confortablement installée dans une moelleuse bergère, ses longues jambes repliées sous elle, ses pieds nus. Mme Bush était parfaitement à sa place dans cette pièce. La pièce avait été crée pour elle; pour sa féminité triomphante. L'animal mâle n'y était qu'un intrus.
Vêtue de soie noire, elle avait une gorge incroyablement opulente, une taille incroyablement fine.
Avec ses larges hanches dodues, cette femme semblait avoir été faite pour la maternité... et pourtant non! Ce n'était pas son genre. Carella ne pouvait imaginer une vie nouvelle sortant de ces flancs. Il ne pouvait voir cette femme qu'à travers les descriptions de Hank, dans le rôle de la séductrice. La robe de soie noire exaltait cette image. Le salon plein de bibelots confirmait l'impression. C'était le décor qui convenait à Alice Bush.

Il porta le verre à ses lèvres. Le mélange était explosif.
-Eh bien, s'exclama-t-il, vous ne plaignez pas l'alcool!
-Hank aimait son whisky fort, dit-elle. Il n'aimait que les choses fortes.
Et une fois de plus, en prononçant ces mots, Alice venait de provoquer, en toute innocence, un feu d'artifice. Cet être complexe, dominé par les exigences d'un corps trop ardent ne pouvait, sans doute, mesurer l'effet qu'il produisait. Carella avait l'impression qu'elle allait brusquement exploser, que mille fragments de seins, de hanches et de cuisses, iraient se répandre dans la nature, comme dans un tableau de Salvador Dali.
-Il faut que je m'en aille, dit-il. On ne me paye malheureusement  pas pour boire des verres.
-Attendez encore une minute, demanda-t-elle. J'ai quelques petites idées moi aussi.
Il leva vivement la tête, soupçonnant presque dans ses paroles un sous-entendu équivoque. Mais il se trompait. Elle s'était détournée, et regardait maintenant par la fenêtre, le visage et le corps de profil.
-Je serais heureux de les connaître, dit-il.
-L'assassin est un obsédé, un type qui a une haine morbide pour la police, Steve.
-Ca se pourrait.

-La chaleur n'a pas dû faciliter l'enquête, j'imagine, dit Alice.
-La chaleur n'a rien facilité.
-Moi, je vais aller me mettre en bikini dès que vous serez parti.
-Si j'ai bien compris, vous me mettez à la porte, fit Carella en souriant.
-Mais non, je ne voulais pas dire... je vous jure, Steve, j'irais me mettre tout de suite en bikini si je pensais pouvoir vous retenir encore un peu. Mais, j'avais compris...(Elle fit un geste de la main) Oh, zut!
-Mais je suis obligé de partir, Alice. J'ai encore des tas de photos à compulser là-bas. (Il se leva.)
Merci pour le whisky.
Il se dirigea vers la porte, sans la regarder, évitant surtout de regarder les jambes, tandis qu'elle se levait aussi.
Elle prit congé de lui sur le seuil. Sa poignée de main était ferme et chaude.La main elle-même était dodue.
-Bonne chance, Steve. Si je peux vous aider en quoi que ce soit...
-Je ferais appel à vous... Merci encore.
Il se retrouva dans la rue accablante de chaleur, en proie à une curieuse exaltation. Et il se serait contenté de n'importe quelle partenaire.

Ed Mc BAIN
Cop Hater
(Du balai!)
Carré Noir N° 360
Photo : Marilyn Monroe / Marc Lawrence ( Asphalt Jungle / John Huston-1950)

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