lundi 27 août 2012

Le polar est Amour (7)


Je rentre. Je vais au seuil de ma chambre, ma petite fée dort toujours, en suçotant l'ongle peint de son auriculaire gauche, et j'aperçois qu'elle a, tatoué sur l'extérieur de la cheville droite, un petit hérisson bleu pétrole. J'ai envie de m'y frotter, mon coeur s'affole,je m'allonge donc sur la descente de lit, pour "faire le lourd", comme on ma l'a enseigné à la clinique psychiatrique où j'ai fait ma première cure. J'étends mes bras le long de mon corps, je calme ma respiration, en écoutant cette pompe merveilleuse qu'est mon coeur, je sens mes doigts lourds, puis mes bras, mes jambes, et ma nuque, j'ai les yeux fermés, et je pense à un ciel bleu dans lequel baguenaudent des petits moutons blancs dessinés par un dieu enfantin, le monde est simple et frais, mon front est frais et je sens mon corps lourd, lourd, et une putain de blatte s'infiltre dans ma narine et j'éternue de toutes mes forces, la fille se réveille en hurlant au-dessus de moi, je lui attrape la jambe et lui lèche la cheville, pour bien apprivoiser son hérisson tatoué, elle me repousse d'un coup de pied, je roule à terre, la fille cherche un objet contondant, je me met à genoux, je supplie, sainte Pétasse, Hélène, sainte Etoile, Reine des Kids, pas ça. Elle ouvre des yeux ronds comme des soucoupes et toute animosité s'évanouit sur son visage naturellement angélique, et elle éclate de rire. C'est bon signe. Nous sommes là à nous fendre la poire comme deux potes de longue date.
-Putain de nuit, dit-elle enfin. Où suis-je?
-Chez moi.
-Qui t'es toi? Quasimodo?
-Paulo, dis-je. Ami.
-Ah.
-Et vous?
Elle me scrute et répond:
-Sais pas.
Elle lève les yeux au ciel.
-Hélène? dis-je doucement.
Elle me scrute à nouveau, soucieuse.
-Non, déclare-t-elle, pas Hélène. Wanda, je m'appelle Wanda.
Wanda Wampa.
-Vous n'avez pas une soeur qui s'appelle Hélène?
-J'ai pas de soeur, dit-elle. Et j'en veux pas, j'aime pas les filles. T'aimes les filles toi?
-Euh...

-Comment tu t'appelles, t'as dit?
-Paul, ou Paulo.
-Bon, j'ai besoin de réfléchir, Paulo. Si tu me faisais un petit café, pendant que je médite toute seule? La vie me semble compliquée tout à coup.
-On vous a quand même jamais dit que vous ressembliez à Hélène, du feuilleton, vous savez?
-Tu me fais chier avec Hélène. Je te dis que je m'appelle Wanda . Je me souviens de rien sinon de ça, Wanda, c'est mon nom, tu veux pas me piquer mon nom? Amnésique, je suis, suite à un traumatisme. J'ai besoin de repos, de répit. Tu peux me lâcher la touffe?
-Je lâche. Vous avez un hérisson, sur la cheville, tatoué, si cela peut constituer un indice?
-Ouais? Ben n'y touche pas, si cela peut constituer un conseil.
-Je vais m'occuper du café.
-C'est ça. Occupe toi du café. Dis-moi Paulo, tu vis tout seul ici?
-Euh.. c'est à dire.. Oui, tout ce qu'il y a de tout seul.
-C'est bien, ça. C'est mieux. Tu m'as tout l'air d'un garçon sérieux et intelligent. Je peux avoir confiance en toi?
-Je suis votre ami, votre dévoué.
-Ouais, stop. Il faut m'aider, Paulo, c'est à dire, j'ai besoin de repos, tu vois, j'ai besoin de me retourner, savoir qui je suis, tout ça. Et ça peut prendre un peu de temps quand même.
-Je comprend bien. Il faut laisser du temps au temps.
-Alors ça t'embête pas, que je reste là, pour les voisins, tout ça?...
-Les voisins? Les voisins, n'est-ce pas, je les emmerde, ils n'en sauront rien les voisins, que vous êtes là, et pas ailleurs, il faut que nous nous occupions de vous, pas les voisins, n'est-ce pas?

Hervé Prudon 
(Nadine Mouque)
Série Noire n°2401
Photo : Marie Trintignant-Patrick Dewaere ( Série Noire-Alain Corneau 1979)

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