samedi 25 août 2012

Le polar est Amour (6)


La porte finit par s'ouvrir. Et Tony apparut, ses épais cheveux d'un roux sombre tombant sur ses épaules, ses yeux gris-vert fortement entourés de mascara, son visage aux pommettes hautes reflétant un masque d'indifférence. Elle avait enfilé à la hâte une robe de chambre en velours noir dont elle se drapait négligemment.
-Salut, fit-elle avec froideur.
Johnny serra les lèvres puis se força à sourire. Pour un accueil, c'en était un! C'était lui qui lui avait permis de récupérer ce qu'elle avait mis au clou moyennant la coquette somme de trois billets de cent et elle se comportait comme si elle n'était pas sûre de le laisser entrer.
-Salut, Tony.
Il franchit le seuil et elle referma la porte. La chambre puait autant qu'un bordel français; des vêtements étaient éparpillés dans tous les coins; il y avait une boîte de chocolats à la crème ouverte sur la table, et plusieurs revues de cinéma.
-C'est un vrai bazar, dit Tony. J'espère que ça ne vous gêne pas, monsieur Doyle.
Elle lui adressa un sourire ironique...ou du moins c'est ainsi qu'il le ressentit. Une gonzesse extrêmement agaçante.
Johnny s'assit. Elle alluma une cigarette et se jeta sur le canapé, sa robe de chambre s'écartant dans le mouvement. Ses longues jambes fines et bien faites furent, l'espace d'un instant, nues presque jusqu'à la hanche. Johnny regarda sans se cacher. Elle était vraiment du tonnerre, cette rousse un peu cinoque! Pas du genre,bien sûr, qu'on s'attendrait à voir mettre un type comme Jim en mauvaise posture, mais quand même...
Johnny avait ressenti un ardent désir à son égard et ce dès la première fois qu'il l'avait vue traverser le hall de l'hôtel de Miami en roulant des hanches. Mais Jim l'avait pris de vitesse... Alors bas les pattes. Il n'était pas comme certains autres copains de Jim. Il n'était absolument pas question qu'il se brouille avec lui à cause d'une gonzesse. Des gonzesses, il y en avait partout... Mais il n'y avait qu'un seul Jim.
-Comment va mon grand bébé? demanda Tony. Trop fier pour venir ici lui-même, hein?

La véritable chose, en dehors de ses cheveux roux et de sa magnifique silhouette mince, qui rendait Tony si séduisante, c'était l'expression de sensualité que prenait son visage lorsqu'elle était détendue. Johnny, enviant Jim, l'avait remarqué à maintes reprises. Mais pour l'heure Tony ne pensait qu'à cette affaire. Son visage était dépourvu de toute suggestion de sensualité; elle avait une expression sérieuse, concentrée, qui n'avait rien de sexy. Tout en parlant, Johnny s'appliquait mentalement de grandes tapes dans le dos pour se féliciter de sa sagacité. Cette fille, il n'y avait vraiment que le fric qui l'intéressait. En la prenant exactement comme il fallait elle leur serait d'une aide appréciable. Tout ce qu'il leur fallait c'était amener Jim à franchir le premier obstacle. Une fois que le mouvement serait lancé, ils pourraient tous s'asseoir et regarder venir.
-Alors? demanda finalement Johnny qui considérait cette question comme pure formalité.
Tony hocha la tête sans prononcer un mot . Il échangèrent un regard. Johnny sentit un léger frisson glacé courir le long de sa colonne vertébrale et il se leva en toute hâte.
-Si on allait déjeuner?
-Mangeons ici, dit Tony en s'étirant paresseusement. Je n'ai pas envie de m'habiller.
Johnny appela le standard, commanda, puis traversa la pièce et s'assit sur une chaise loin de Tony qui l'observa un moment avant d'éclater de rire.
WR Burnett
Nobody lives forever
(Fin de parcours)
Rivages/noir.
Photo : Ida Lupino (Private Hell 36/ Don Siegel 1954)

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