lundi 27 décembre 2010

Dybbuk


Nous vidâmes la bouteille. J'étais toujours assis sur le bord du lit et Zosia en face de moi, sur le fauteuil.
Elle croisa les jambes et, un fragment de seconde, je vis qu'elle était nue sous sa belle chemise de nuit.
J'attendais que l'ivresse me montât de l'estomac au cerveau - mais c'était le contraire qui se produisait, elle descendait de mon cerveau dans mon estomac. Je restais tendu, rebelle à toute espèce d'ivresse, attentif à la moindre variation de mes humeurs érotiques. J'entendis Zosia qui disait : " Je n'ai rien lu de vous mais voilà, je crois en votre talent. L'ennui c'est que personne ne saura jamais décrire ce qu'est réellement  un être humain.
C'est quoi, une être humain, hein?" Je ne répondis pas. Un instant je crus ne pas avoir entendu la question. Mon esprit restait totalement vide. Puis je compris ce qu'elle avait dit et je répondis: " Une caricature de Dieu, une parodie de l'esprit, la seule entité de la Création qu'on pourrait appeler un mensonge." Le maître de la dérision, comme j'appelle l'adversaire particulier des ébats amoureux, n'en faisait qu'à sa tête. La première moitié de la nuit, Zosia  voulait bien, mais moi j'étais impuissant . Après avoir abandonné  tout espoir, je dormis une heure et toutes mes forces  me revinrent mais alors, Zosia sembla possédée par un dybbuk. Elle serra fortement ses jambes l'une contre l'autre et mes genoux pointus ne parvenaient pas à les écarter. Je lui reprochai les contradictions de sa conduite et elle me dit: "Je ne peux pas m'en empêcher."
Isaac Bashevis Singer
Perdu en Amérique
(Stock)
"Fragments d'une autobiographie que je n'avais jamais eu l'intention d'écrire" C'est avec ces mots que Isaac Bashevis Singer  sous-titrait le premier roman "Un jeune homme à la recherche de l'amour".
En  ce qui concerne le Dybbuk, sa vie, son oeuvre et bien d'autres choses encore.. Je conseille l'excellent  film des Frères Coen " A serious man".

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