jeudi 16 décembre 2010

L'or de Naples


Vous avez eu de la chance, charmantes fillettes, de réussir à émigrer avec "le roi du bois" nouillorquais. Avant la guerre, petites filles, vous ne compreniez pas grand chose. Quand vous avez commencé à comprendre, l'argent s'est mis à pleuvoir sur Naples. Elles ne sauront jamais qu'après leur départ, le grand cadavre nommé "Défaite", que l'on n'avait pas eu le temps d'enterrer en 1943, empuantit l'air, et que quiconque respire ces miasmes se transforme en chômeur, joueur de hasard, mendiant. Les rues sont à nouveau pleines de misérables allongés par terre, entre les pieds des passants, des passant qui pour rien au monde ne s'imaginent que ces mendiants sont des Italiens.
C'est comme lorsque passe un cercueil: nous adressons au mort un salut plein de commisération, nous nous souvenons de lui:
-Mais quel dommage! Quel dommage!


Comme si nous étions immortels, comme si entre nous et le mendiant s'élevait une digue et non un billet de mille lires.
A certaines heures de l'après-midi, quand le soleil se noie dans des voiles blanchâtres et que la lumière devient brumeuse, tous semblent frappés par la peste. On a honte de pénétrer dans les ruelles. Les seuils sont encombrés d'hommes qui semblent abattus par la foudre. Les filles ondulent des hanches avec abandon, comme des vagues qui vont et viennent, et elles songent à tout autre chose qu'à l'amour. Elles marchent comme si devant elles flottait encore une illusion; mais elles
ne rencontrent qu'une impitoyable déception, le lugubre passé de toujours, le passé de Naples que le soleil révèle en relief.
Domenica Rea - 1948 / Brève histoire de la contrebande/ in Jésus, fais la lumière !
(Actes-Sud- 1989)
La citation de Carlo Poerio qui préface le texte est : " Entre le peuple qui crie, le roi qui nous ment et les ministres qui ne savent ce qu'ils font, un honnête homme en a plus qu'assez."

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