vendredi 24 décembre 2010

Festins


Mme Angelina entra.
-C'est prêt.
Les tinnirume, feuilles et fleurs de cucuzzedra, la courgette sicilienne longue et lisse, d'un blanc à peine troublé de vert, avaient été cuites à point; elles étaient devenues d'une tendreté, d'une délicatesse que Montalbano trouva carrément émouvantes.
A chaque bouchée, il sentait son estomac se nettoyer, devenir impeccable comme il avait vu faire à certains fakirs à la télévision.
-Comment les trouvez-vous? Demanda Mme Angelina.
-Belles, dit Montalbano et, à la grande surprise des deux vieux, il rougit, s'expliqua : Pardonnez-moi, certaines fois, je souffre d'imperfections adjectivales.
Les rougets de roche, bouillis et assaisonnés d'huile, de citron et de persil avaient la même légèreté que les tinnirume. Ce n'est qu'au moment des fruits que le proviseur
reprit la question que lui avait posée Montalbano, mais pas avant d'avoir parlé du problème de l'école, de la réforme que le ministre du nouveau gouvernement avait décidé de lancer, en abolissant entre autres le lycée.
Andrea Camilleri
Chien de faïence - Traduction Serge Quadruppani
(Fleuve Noir)





L'homme ramasse sa hotte et suit la jeune femme. Patricia fait toujours visiter la cuisine aux nouveaux venus, car elle en a conçu l'aménagement dans les moindres détails. Le plan de travail central, recouvert de carreaux de céramique multicolore provoque toujours des commentaires flatteurs. Elle s'y adosse pour faire face à l'homme. L'odeur appétissante de la dinde aux marrons en train de cuire dans le four autonettoyant empli la pièce. Il a ressorti l'arme et la lui pointe sur le ventre.
-Je vous en prie, dit-elle très vite tandis qu'il s'approche d'elle. Ne faites pas de mal à mes enfants. Mon mari fera ce que vous...
Elle s'interrompt. L'homme vient de reglisser le pistolet dans sa ceinture, d'une main il rapproche la hotte et de l'autre lui soulève la jupe. Les yeux de Patricia fouillent les alentours. Au-dessus de la cuisinière à table de cuisson en vitrocéramique, la batterie de cuisine en cuivre décoratif est trop loin pour que ces casseroles puissent servir d'arme. Après avoir lancé la cuisson de la dinde, Patricia a soigneusement nettoyé et rangé les ustensiles. Les couteaux aux formes variées ont été disposés dans leurs tiroirs de plastique bleu transparent.
Autour de Patricia tout est lisse et propre et vide. Elle ferme les yeux.
Elle sent la main de l'homme sur sa cuisse. Il a les doigts glacés.
Serge Quadruppani
La nuit de la dinde
(Métailié -suites)








Aussi, quand trois domestiques en vert, or et poudre entrèrent portant chacun un plat démesuré en argent contenant une timbale de macaronis en forme de tour, seules quatre personnes sur vingts s'abstinrent de manifester une joyeuse surprise : le Prince et la Princesse parce qu'ils s'y attendaient , Angelica par affectation et Concetta par manque d'appétit. Tous les autres (y compris Tancredi il est regrettable de la dire) manifestèrent leur soulagement de différentes manières, allant des grognements extatiques et flûtés du notaire au petit cri aigu de Francesco Paolo. Le regard circulaire menaçant du maître de maison coupa court d'ailleurs tout de suite à ces manifestations inconvenantes.
Bonnes manières à part, cependant, l'aspect de ces gratins babeliens était bien digne d'appeler les frémissements d'admiration. L'or bruni qui les enveloppait, le parfum de sucre et de cannelle qui s'en dégageait n'étaient que le prélude de la sensation de délice qui émanait de l'intérieur quand le couteau déchirait la croûte: il en jaillissait d'abord une vapeur gorgée d'arômes,on découvrait ensuite les foies de volaille, les oeufs durs, les émincés de jambon, de poulet et de truffes pris dans la masse onctueuse, très chaude, des petits macaronis auxquels le fumet de viande conférait une précieuse couleur chamois.

Giuseppe Tomasi Di Lampedusa
Il Gattopardo
(Seuil )
Bon appétit à tous..

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