mardi 8 mai 2012

Histoires comme-ci, comme çà (8)



Comment je suis monté au Paradis 

Maison d'Arrêt de Bois-d'Arcy (Yvelines). 1990.
J'anime un stage d'écriture de scénario pour le ministère de la Santé.
Chaque session est sensé durer quatre heures. Mais, la fouille minutieuse de mon cartable, les différents contrôles  et les surveillants qui se font un peu tirer l'oreille pour prévenir les détenus de mon arrivée et les accompagner jusqu'à la salle prévue, réduisent mon intervention à un peu moins de deux heures.
Si parmi mes fidèles les marchands de rêve son majoritaires, je compte aussi  un spécialiste des oeuvres d'art, un  sympathique papy qui a plongé sa main dans la caisse de son administration, deux frères monte en l'air et des casseurs en phase d'apprentissage.
Après les premières sessions, j'ai modifié mon programme en m'apercevant que certains ne savaient pas écrire. Face à cette réalité, j'ai décidé de passer un peu plus de temps sur l'analyse filmique.
Ce jour-là, les surveillants étant de bonne humeur, j'ouvre la session avec une quinzaine de participants. Je leur propose un exercice simple pour leur montrer qu'un scénariste apporte toujours beaucoup d'attention à la construction d'un personnage. Nous allons regarder ensemble "Les Enfants du Paradis" de Marcel Carné, scénario de Jacques Prévert.
Dans l'assemblée, seuls le spécialiste des oeuvres d'art et le papy ont déjà entendu parler du film.
Les autres demandent pourquoi ils sont obligés de regarder un film en noir et blanc.
Je perd pas mal de temps à ramener le calme et puis je me lance.
-Bon, c'est assez simple. Vous choisissez  un personnage précis parmi tous les personnages du film et  vous notez au fur et à mesure que l'action se déroule les renseignements que l'auteur donne sur ce personnage. Son nom, sa fonction, son passé, son physique, son langage etc..
L'expérience, comme le film, se déroule en deux parties sur deux journées.
Le lendemain, les mêmes sont présents et je projette la seconde partie.
Dès le mot fin affiché sur l'écran, je demande à chacun le nom du personnage choisi.
A ma grande surprise, je constate qu'ils ont tous sélectionné Garance (Arletty) qui symbolise la liberté dans le film.
Pour moi, cette merveilleuse révélation semble venir du ciel !
Pendant que le débat s'engage sur les différents détails notés par certains et pas par d'autres, je ne tente plus de ramener le calme. Je voudrais que ce moment magique dure une éternité.
Julius Marx

                                           





                                                 

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