vendredi 22 avril 2011

De nos envoyés spéciaux



Il est frappant, très irritant même, de constater combien nos interlocuteurs (ceux qui vivent sur l'autre bord de la Méditerranée) sont influencés, pour ne pas dire aveuglés, par les reportages de type "Envoyé spécial".
Ces documents, ramenés à Paris avec l'indispensable note de frais qui arrondit si bien les fins de mois difficiles, sont sensés expliquer la situation d'un pays en guerre ou "agité par des troubles sociaux".
Grâce à ces reportages, le cadre dynamique entrant de son boulot chez Orange, la responsable du rayon fleurs coupées dans un hypermarché ou le boucher-charcutier se reposant quelques minutes pendant que son pâté de foies cuit lentement dans le four, vont enfin comprendre ce qui se passe là-bas, dans ces contrées désertiques, sans haut-débit où l'on ne mange pas de cochon.
Alors, par pédagogie sans doute, le journaliste, guidé par son rédacteur en chef nommé par le parti au pouvoir, choisit un angle d'attaque.  L'angle d'attaque est indispensable pour garantir la bonne tenue du magazine d'information et  doit obligatoirement tenir compte des préoccupations du charcutier, du cadre commercial et de la fleuriste. Après réflexion donc, l'employé zélé opte pour l'immigration clandestine. Pourquoi l'immigration clandestine? Il suffit de nous "immerger" quelques secondes au coeur de la conférence de rédaction qui précède le départ en Tunisie pour comprendre.
-T'as fait les résas d'hôtel?
-Oui.. le même que d'habitude
-Il est toujours ouvert?
-Ben oui...Si j'ai fait les résas.
-Bon, les gars, on parle de quoi?
-Des immigrés tunisiens
-Encore?
-Ben oui... T'as pas vu Marine le Pen fait 21%
-D'accord, alors on sort les chiffres, on explique la situation économique du pays..La main mise des grandes multinationales..
-T'es ouf ou quoi? Pas le temps mon pote!
-Bon , alors?
-J'ai pensé, on pourrait prendre le bateau avec eux ..
-Hein! C'est toi le loufdingue ! Moi, je monte pas sur ces rafiots.. J'ai déjà bien assez de la tourista à chaque fois que je vais là-bas!
Le cadre commercial somnole sur son divan, la fleuriste arrose ses géraniums et le pâté du charcutier est prêt; alors, allons à l'essentiel. Ce qui intéresse  ces braves gens, vous l'avez compris, c'est leur pouvoir d'achat, leur sécurité et les chiffres du chômage. Alors, pourquoi leur casser les pieds avec les problèmes de démocratie, de dictateurs sanguinaires ou de géopolitique. Les droits de l'homme? il faut qu'une partie du monde, celui d'en bas, crève de faim pour que l'autre, celui d'en haut, le civilisé, garde sa croissance et son pouvoir d'achat. C'est comme ça, depuis que le monde est monde !
Demain, le cadre commercial boira son petit café du Guatemala chez Star machin chose, le charcutier vendra du porc  bio élevé au soja brésilien et la fleuriste refilera du bégonia chinois en pensant à sa prochaine semaine paradisiaque ( forfait tout compris avec thalasso et vin rouge le soir) dans un hôtel tunisien.
Amen.. A vous les studios.
Julius Marx
 

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