mardi 12 avril 2011

Noir comme l'espoir (2)

Ensuite, Chandler donne naissance à Philip Marlowe. Marlowe est un privé un poil désabusé mais c'est surtout un coriace," un dur à cuire" (selon l'expression hard-boiled).
L'homme ne se fait pas beaucoup d'illusion sur l'avenir de la planète et de ses habitants.
A l'inverse de tous (peuple d'en haut, peuple d'en bas ou autres non situés ) il reste persuadé de l'existence du bien et du mal. Ceci explique en grande partie  son cynisme et sa fâcheuse tendance à écluser. Le modèle démocratique en vigueur à l'époque (à vous de juger s'il est bien différent de celui d'aujourd'hui) ne le satisfait pas vraiment, c'est le moins que l'on puisse dire.


On peut ajouter que nous sommes dans la période triomphante du béhaviorisme. Le personnage se révèle totalement dans sa fonction et dans son caractère grâce à des actions précises. Ceci nous rapproche bien évidemment du cinéma mais, le cinéma n'aime pas la finesse et la poésie, nous le savons tous.
Côté style, l'auteur développe encore son sens de l'ellipse, de l'humour et de la dérision.
Voyez ceci par exemple
"Derace Kingsley s'introduisit vivement derrière huit cents dollars de bureau directorial et appliqua son postérieur  sur un grand fauteuil de cuir. Il atteignit une boite de cuivre et d'acajou, s'empara d'un panatela, en sectionna la pointe et l'alluma à la flamme d'un conséquent briquet de bureau en cuivre rouge. Il prenait son temps sans se soucier du mien. Lorsqu'il fut prêt, il se pencha en arrière, souffla un peu de fumée et dit:
-Je suis un homme d'affaires et je vais droit au but . D'après votre carte, vous êtes détective privé. Montrez-moi une pièce qui le prouve."
The Lady in the Lake (1943)


Impossible de ne pas mentionner aussi les dialogues de Chandler/Marlowe.
Charmant duo du bref et de l'incisif, quelquefois même rejoints par un troisième larron : l'humour.
"Degarmo était là, parlant avec le sergent du bureau. Il tourna vers moi ses yeux bleu métallique et me dit:
-Comment ça va ?
-Très bien.
-Vous aimez notre prison?
-Je la trouve très bien.
-Le capitaine Webber désire vous parler.
-C'est très bien.
-Vous ne savez rien dire d'autre que très bien, non?
-Pas maintenant, pas ici, dis-je.
-Vous boitez un peu, dit-il. Vous avez fait un faux-pas?
-Tout juste dis-je. Sur une matraque. Elle a sauté en l'air et m'a mordu derrière le genou gauche.
-Ah! c'est bien triste, dit Degarmo. Reprenez les choses que vous avez laissés au greffe.
-Je les ai, dis-je, on ne me les a pas prises.
-Alors, c'est très bien, dit-il.
-Sûr, dis-je, c'est très bien.
Le sergent leva sa tête hérissée et nous gratifia tous deux d'un long regard. Il dit:
-Vous devriez voir le joli petit nez irlandais de Cooney, si vous vouliez voir quelque chose de très bien. Il est aplati  sur sa figure comme du sirop sur une crêpe.
Degarmo demanda d'un air distrait :
-Qu'est-ce qui lui est arrivé ? Il s'est battu?
-Je ne veux pas le savoir répondit le sergent. Peut-être que c'est la même matraque qui lui a sauté dessus et qui l'a mordu aussi.
-Pour un sergent de service, vous parlez foutrement trop, dit Degarmo.
-Un sergent de service parle toujours foutrement trop, dit le sergent. Peut-être que c'est pour ça qu'il n'est pas lieutenant de la brigade criminelle.
-Vous voyez comme nous sommes, ici, me dit Degarmo. Une grande famille heureuse.
Avec des sourires resplendissants sur nos visages poupins, continua le sergent ; les bras largement ouverts en signe de bienvenue, et une grosse pierre dans chaque main.
Degarmo me fit un signe de tête et nous sortîmes.
The Lady in the Lake  (1943)
Série Noire Gallimard N°8
Traduction Boris et Michèle Vian
Vous savez quoi, on revient bientôt...
Julius Marx

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