samedi 14 mai 2011

Et les étoiles ne regardent jamais en bas (26)



Dès qu'elle eût fini de jouer avec les graviers blancs,
La voiture stoppa devant la clinique. Ancienne demeure de maître plantée au centre d'un parc à défricher, la bâtisse de quatre étages  résiste sans grande conviction aux assauts répétés du vent, de la pluie et de la neige.
S'échappant des gouttières, des coulées d'écumes verdâtres dégoulinent des murs et viennent  jalonner le grand perron. Là-haut, au premier étage, un volet mal assujetti  claque.
Nez de boxeur jette un oeil sur le parc et grimace. Un obus était peut-être tombé dans la piscine  et sur le court de tennis,depuis sa dernière visite, qui sait?
Derrière, le blondinet frappe l'épaule de Mamadou.
-Viens m'aider, le gros pèse une tonne.
Le maire dort, recroquevillé comme un gosse, la bouche ouverte, la tête dévissée du corps, une joue écrasée contre la vitre.
Mamadou fait le tour de la voiture, ouvre la portière et récupère le paquet avant qu'il ne s'aplatisse sur le gravier.
Puis, il l'attrape comme un sac d'arachides sur le port d'Abidjan. Le blondinet s'occupe des jambes.
Une forte bourrasque de vent et de neige mêlés pousse sans ménagement  les deux hommes vers la clinique.
Nez de boxeur admire toujours le parc. L'obus a probablement finit sa course sur le toit de la rotonde, conclut
nez de boxeur l'observateur, en hochant  sa grosse tête.
Le blondinet donne un coup de pied dans la porte.

Le hall ?
Large, très large. Avec des pans entiers de murs qui dégringolent sur le carrelage de type jeu d'échec.
Des effluves amoniaquées  flottent dans l'air.
Mamadou renifle / le regrette aussitôt.
L'infirmière porte une blouse fripée et jaunie par les trop nombreux lavages.  Elle ouvre de grands yeux outrageusement maquillés.
-Qui c'est celui la?
-T'occupes! répond le blondinet, amène un brancard.
Demi-tour. Mamadou admire sa croupe.
-Touche pas à la femme blanche, grogne le blondinet.
Mamadou éclate d'un grand rire. La fine kapéle de neige sur sa toison crépue disparaît.


C'est une vaste cuisine à l'ancienne
Piano, casseroles en cuivre, chinois: et large table posée au centre d'un carrelage de mosaïque éclatée.
Au-dessus d'un pantalon de travail avachi aux genoux et d'une chemise sans col , un singulier visage tavelé aux yeux de lapin russe cligne des paupières derrière ses grosses lunettes à montures de bakélite.
Au fourneau, officie le docteur William Klax. Ses mains longues frémissent. Un bouquet de sarriette s'envole.
Le docteur se hisse sur la pointe des pieds pour humer. Ses narines se dilatent, ses verres de lunettes deviennent opaques.
Bang!
La porte tape contre le mur. Le chariot... Mamadou et le blondinet entrent dans la cuisine.
Mamadou renifle. Blondinet lui fait signe. Ils balancent le corps du  maire sur la longue table.
Entre la mirepoix d'oignons et de carottes, la viande hachée et les feuilles d'une longue branche de cèleri, le Maire ouvre une paupière.
-Du travail pour vous, chef. Annonce le blondinet.
-Encore, soupire le docteur sans regarder ses visiteurs, la tête toujours penchée au-dessus du grand faitout .
Je viens à peine de finir celui de ce matin. On dirait que la maison est en super-production en ce moment.
-On dirait..
Mamadou renifle une nouvelle fois.
-Hé,ça sent bon doc, qu'est-ce que c'est , le type de ce matin?
-Très drôle, répond le docteur en descendant de son tabouret.
Il attrape le grand torchon qui pend à sa ceinture, s'essuie les mains et, pour la première fois, regarde le corps sur la table. Il se penche au-dessus du malade, son expression ne change pas.
Son doigt remonte la paupière de Stanislas Valke. Le maire de Veninsart pousse un petit gémissement à peine perceptible.
-Alors? demande le blondinet.
Le docteur fait la moue
-Le foie, sans aucun doute.
-Monsieur préconise une bonne cure de sommeil, ironise le blondinet.
-Oui, il a tout à fait raison, répond Klax en exhibant une rangée de longues dents malsaines,rien de tel...
Le calme et le repos..
-Oui, le repos éternel... glisse le blondinet.
-Celui auquel nous aspirons tous...approuve le doc en levant les yeux au ciel.
(A suivre)

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