mardi 24 mai 2011

La mer couleur de sang



On sait combien le roman policier classique ( à énigme) nous, on l'aime pas.. Oh que non.
On préfère l'autre, le violent, le méchant, le mauvais.
Aussi, si nous parlons d'Andrea Camilleri  et de son commissaire Montalbano, les mauvaises langues, elles vont encore s'agiter . Alors, nous prouvons que Camilleri  y s'acoquine plus avec le roman noir qu'avec celui de Simenon, oh que si!
Dans l'oeuvre du maestro, le personnage principal c'est la Sicile. Et en Sicile, l'ordre du droit n'est pas bon.
On peut même affirmer que le mal domine historiquement. La domination du mal est sociale et politique donc, le terrain est propice au roman noir. Inutile de s'étendre sur la corruption, ni sur le pouvoir politique exercé par des salauds (pour des raisons évidentes de sécurité) mais concentrons-nous  plutôt sur le peuple des personnages.
Le premier d'entre eux, bien sur, c'est Montalbano. S'il occupe les fonctions de commissaire, Montalbano a tout les atouts du privé, il est le redresseur de torts d'un monde sans vertu. Il agit toujours "à sa main", et avec des méthodes de privé (subordination de témoins, falsification de preuves, oublis volontaires etc)
Bref, c'est un solitaire, un brin nostalgique et idéaliste. Bien entendu, il ne peut cacher son amertume et tente de la rendre plus supportable, non pas avec de l'alcool américain mais plutôt avec du vin blanc et en se faisant des bouffes mémorables  "à en appeler le médecin".
Côté femmes, il n'a rien à envier à Marlowe. Il a sa régulière, qui ne vit pas avec lui ( on voit mal un privé  rentrant chaque soir et se mettre devant la télé en pantoufles en attendant que bobonne apporte la soupe. )
 Il y a aussi  les occasionnelles, sur lesquelles on ne va pas s'étendre, si j'ose dire, et qui le font toujours  progresser dans son enquête sans attendre la plus petite reconnaissance (Anna la flic et Ingrid la suédoise par exemple).
Ensuite, on peut classer les autres personnages  comme suit :
-Les exploiteurs (potentats locaux, mafieux, hommes politiques)
Montalbano ne refuse pas la confrontation, au contraire, on a l'impression qu'il aime le combat direct avec les puissants.
-Les exploités ( petit peuple: chômeurs, travailleurs immigrés, paysans )
Montalbano  se situe bien évidemment du côté des exploités. Il cherchera toujours un moyen pour leur venir en aide, même s'il doit transgresser la loi.
-Les déclassés  souvent des intellectuels (anciens instituteurs, employés administratifs etc)
 Montalbano apprécie leur compagnie . Ces personnages "d'une autre époque" comme l'écrit Camilleri dans "La forme de l'eau" représentent le passé, certes, mais aussi la culture (dans sa forme la plus large) envolée de la Sicile.
Et puis, terminons par le personnel du commissariat. De l'hilarant Cattarella  au très sérieux adjoint Augello,ils sont tous dignes du grand Mc Bain et de son 87e district.
C'est ainsi, nous puisons nos références dans le roman noir et non pas chez cette vieille chèvre d'Agatha ou chez le  célèbre fumeur de pipe belge.
Nous irons même jusqu'à conclure que l'écriture de Camilleri est aussi vive et appliquée que celle des grands.  Tentons la comparaison avec  Donald Westlake, par exemple,  quand il écrit  dans "Surveille tes arrières"
"Eduardo  gravit les marches du perron au petit trot. Il s'était rasé cette semaine, mais pas aujourd'hui. Il paraissait sympathique, tout en ayant l'air absent, comme si dans un autre coin de sa vie il était occupé à confectionner un déjeuner élaboré."
Ou alors, plus loin..
"-C'est vide depuis trois semaines. J'ai fait le ménage.
C'était propre, en effet. Miteux, mais propre. Tous les meubles semblaient avoir été rongés, comme si le locataire précédent hébergeait de petits animaux sauvages nerveux."
Cherchez vous même chez Camilleri, je suis persuadé que vous allez trouver nombres d'exemples comme celui la.
Ah ! Que Montalbano, nous on l'aime... oh que oui.
Julius Marx


Andrea Camilleri "La forme de l'eau" (Fleuve noir)
traduction Serge Quadruppani avec l'aide de Maruzza Loria.
(Toute la série est disponible chez Pocket)
Ed Mc Bain  (Série noire -Gallimard)
Donald Westalke "Surveille tes arrières" (Rivages/thriller)
A lire aussi pour tenter de comprendre la Sicile
-Leonardo Sciascia  "Le Jour de la chouette" (Flammarion)

1 commentaire:

  1. Emmanuel F m'a envoyé ce commentaire:
    "J'aime aussi beaucoup Montalbano, et ce que je trouve vraiment extraordinaire chez Camilleri, c'est qu'il a créé sa propre langue d'écrivain, cet italo-sicilien, si riche, si vivant, si évocateur. Il faut d'ailleurs saluer l'exploit de Serge Quadruppani qui parvient à trouver des équivalents plutôt convaincants."

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