mercredi 25 mai 2011

Manchette, enfin!


Et il arrive ce qu'il devait arriver : au seul nom de ce blog, je  me devais de vous parler un jour de Jean-Patrick Manchette. Hier soir, j'ai donc adopté la position du lecteur couché et tenté l'expérience suivante : relire "La position du tireur couché". Cent-quatre-vingts pages  de violence, de haine, d'amour et de poésie, sans  me permettre le plus petit cigare, la moindre tasse de café du Guatemala, bref, sans aucune pause.
Alors,  quel résultat ?
Bon, la première chose dont je veux parler c'est le rythme. Aucun temps morts, là aussi, pas de pause.
Souvent, dans nos lectures, nous sommes parfois obligés de survoler un peu le texte. La raison ? Sûrement le besoin de littérature de certain auteurs. Les pauvres se découvrent possesseurs d'une mission quasi-divine, adjectiver les différentes nuances de blanc d'un ciel d'hiver  dans la forêt de Fontainebleau ou la description  rigoureusement stupide de la voiture personnelle du tueur à l'arbalète.
Ici, tout est utile et agréable.Manchette parvient  donc à rendre le temps mort captivant ? Non pas, car de temps morts, il n'y a point!
Puis, vient la description des lieux et des personnages : extrait

"C'était l'hiver et il faisait nuit. Arrivant directement de l'Arctique, un vent glacé s'engouffrait dans la mer d'Irlande, balayait Liverpool, filait à travers la plaine du Cheshire (où les chats couchaient frileusement les oreilles en l'entendant  ronfler dans la cheminée) et, par-delà la glace baissée, venait frapper les yeux de l'homme assis dans le petit fourgon Bedford. "
 Que vous faut-il de plus ? Un vrai plan de cinéma millimétré qui positionne le lieu dans le temps. Il ne manque que la musique pour caractériser encore le genre dramatique.
Ensuite, il convient de présenter au mieux les personnages. Le principal, bien entendu, mais sans délaisser les secondaires qui, s'ils n'apparaissent  qu'une fois, comme dans l'extrait qui suit, ne sont pas négligés et dont le portrait fait frissonner de plaisir le lecteur.
"Une fausse rousse vêtue d'un trois-quart en pseudo fourrure  acrylique rouge coquelicot, avec un rouge à lèvres écarlate, trop de noir aux yeux et des bottes à très haut talon en plastique noir, sortit de la salle de projection et quitta la cinéma. Un sac rouge en bandoulière, elle avait les mains dans les poches et une expression maussade et calculatrice."
Enfin, parlons de l'action parce que, évidemment, dans un vrai et beau roman noir, la virtuosité se révèle aussi ( ou devrais-je dire surtout ) par les scènes violentes.
"Le choc avait précipité Terrier  au bas de l'escalier de la cave. Il l'avait plaqué sur les mains et les genoux contre le sol inégal semé de poussier. Des grains de carbone s'incrustèrent dans les paumes de l'homme. Une avalanche de débris rebondit dans l'escalier à sa suite. Des kilos de bout de planche et de morceaux de parpaings heurtèrent le dos de Terrier et sa tête.///
.... Il traversa rapidement ce qui restait de la salle à manger. autour de lui des sections de toitures et des pans de mur s'abattaient solennellement et percutaient le sol avec des bruits sourds et des rebonds. Terrier enjamba le Valmet tordu et inutilisable, faillit marcher dans la cage thoracique rouge et blanche, de Stanley  et sortit de la maison par le mur du fond."
Bon, après la forme, nous parlerons bientôt du fond, c'est promis.
Et il arrive ce qu'il devait arriver : Julius dit "à suivre".
Julius Marx


Jean-Patrick Manchette "la Position du tireur couché" (Série noire)
Le chat est le chat du Cheshire d'"Alice au pays des Merveilles " et la photo est extraite d'un film du grand Fritz Lang que Manchette adorait. A vous de découvrir lequel...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire