lundi 9 mai 2011

Un dimanche comme les autres



-Moi j'dis qu'on protège pas assez la nature !
L'homme est petit, râblé. Des cheveux filasses dépassent de son chapeau de cuir très à la mode dans les années soixante-dix. On ne peut voir ses yeux, dissimulés derrière une paire de Ray-ban Aviator. 
-T'as raison, fait l'autre, un quadragénaire filiforme aux yeux de fouine qui porte un tee-shirt de Ché Guévara.
Le pilote au chapeau grimace.
-C'est dingue toute cette merde..
-Ouais, approuve l'autre en dodelinant de la tête.
Les deux  avalent une généreuse lampée de rosé-pamplemousse. Le geste est parfaitement synchronisé, la descente  identique.
-Regarde ma fille, reprend l'aviateur. Elle est allé chercher une yourte en Mongolie...
-Pas possible?
-Bah si..Ce truc, c'est vachement bien. Et pis, c'est écolo..
-Oui, j'ai un copain qui..
-Eh ben, la yourte, elle a coûté 7000 euros.
-Non ! Tu m'aurais annoncé le double, j'aurais pas tiqué..
(Deuxième tournée de rosé-pamplemousse)
Nez de fouine achève le premier. Il tente de reprendre l'offensive.
-Mon pote, il est écolo à mort... Chez lui, c'est...
-5o mètres carrés qu'elle fait la yourte.. C'est bien suffisant.
-Oui, c'est sûr. Et pour le chauffage?
-Y'a un poêle .. Pis c'est étanche, faut voir ça!
-Ouais, c'est ce que m'a dit mon pote..
-C'est bien que les gosses y soient écolos.. Ca me rassure.
Un long cri strident vient interrompre la conversation. C'est la maîtresse de maison qui rappelle à l'ordre son mari. La viande est en train de carboniser sur le barbecue.
Les deux en profitent pour s'installer à table.
-C'est comme la bouffe... on mange que de la merde, attaque l'homme au chapeau en casant sa bedaine.
-J'ai grossis de quatre kilos depuis que j'ai arrêté la clope, répond nez de fouine.
-T'as pas arrêté le pinard au moins ? ironise l'homme au chapeau en saisissant la bouteille de rosé.
-Non, ça risque pas, rigole l'autre en tendant son verre.
Les deux regardent les petits morceaux de charbons qui dégringolent dans leurs assiettes . Ils avalent la salade de pomme de terre, les légumes, les saucisses, les côtes de boeuf , dans le même rythme, le même tempo.
A la question : de la crème anglaise avec le gâteau au chocolat ? les deux répondent oui en même temps.
-J'sais pas où va le monde mais, il y va, philosophe l'aviateur en se carrant un cure-dents entre deux incisives .
-C'est sûr, approuve celui qui est devenu son pote, en  s'apercevant qu'il a fait une tâche sur le béret du Ché.
-Le pire c'est que les gens s'aperçoivent  même pas de leur connerie !
-Ca c'est bien vrai ! Au fait, qu'est-ce que tu fais dans la vie?
-J'travaille  dans le pétrole. Pour une grosse boite.
Nez de fouine est impressionné.
-Et ça marche... J'ai un copain qui m'a dit qu'on aurait pu de pétrole bientôt.. C'est pour dans dix ans, à ce qui paraît.
-Pfff ! J'men tape. Moi, encore six, sept ans, et je me casse.
-Tiens, j'ai senti une goutte, annonce nez de fouine.
-Y'a pu de saison, grimace l'homme au chapeau.
-Thé ou café? demande la maîtresse de maison.
-J'reste au pinard, pas de mélange, répond  nez de fouine.
Tous le monde se marre. Un gros nuage noir vient cacher le soleil.
-J'me gèle, dit une femme.
-Hé, vous avez vu, ils ont remis le couvre-feu à Tunis, lance quelqu'un.
En bout de table, on réagit:
-Ouais, on s'demande bien comment ça va finir cette p..... de révolution !
-Si ça continue, y vont regretter B.A.
-Nous, on a commencé à rassembler nos affaires...
-Chut ! dit la maîtresse de maison.
-Pourquoi, t'as peur d'être enregistré, blague son mari. On n'est pas à la fédé !
-Combien t'as dit pour ta yourte? demande nez de fouine.
Julius Marx

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