mardi 17 mai 2011

Times they are a changin'


Bon, maintenant, il s'agit de mettre en scène la violence. Pour un auteur de romans noirs, c'est comme qui dirait, le passage obligé. Là encore, les styles s'opposent. Il y a ceux qui "évitent" le problème avec plus ou moins de talent, d'autres qui "recopient" et d'autres enfin qui basculent dans la surenchère.
On dépece , on empile les boyaux, on fait blanchir les os dans le bouillon de tripes et on se garde les meilleurs morceaux (foies, rate etc) pour le dîner.
J'invente pas... je recopie.
Ce n'est plus le sérial-killer sanguinaire qui tue, mais le ridicule.
En réalité, la violence n'est pas imposée, elle s'impose d'elle même.
Lisez cet extrait du magnifique They don't dance mutch (une poire pour la soif) de James Ross (1940)
traduction de l'indispensable Philippe Garnier.
"Smut l'a saisi par les pieds et l'a fait tomber du lit . Mais Bert était pas du genre  à se laisser faire sans se rebiffer. Je crois qu'il savait qu'on le buterait pas avant de savoir où était l'argent. Il a chopé Smut par le cou et ils ont roulé  ensemble par terre. J'ai enlevé la lampe de la table, pour la poser sur la cheminée. Une bonne chose, en plus, parce qu'ils ont roulé contre la table et la bible qui était dessus a glissé directement dans l'âtre.
Je me suis reculé et je les ai laissés se battre. J'aurais pas été d'une grande aide pour Smut, de toute manière.
/////.... Smut l'a frappé au visage de toutes ses forces , et finalement Bert a arrêté de se défendre. il est resté allongé là, à bout de souffle, les yeux fermés. Smut m'a fait signe ." Va au camion. Regarde à l'arrière. Ramène la corde." Il était hors d'haleine, et la sueur  lui coulait  le long des tempes. Il a levé la main et cogné Bert encore un coup sur l'oeil droit. Bert a gémi en essayant de tourner la tête.///
///... Smut s'est remis debout."Bon, il a fait en s'étirant, enlève lui ses chaussures".
Pendant que je délaçais les souliers de Bert, Smut est allé prendre les pincettes qui étaient placées debout contre la cheminée. Avec les pincettes il a pris un charbon incandescent dans la cheminée. Il est revenu s'asseoir sur les tibias à Bert. Il a mis le charbon contre le pied droit à Bert, juste à la base des orteils.
Au bout d'un moment, j'ai entendu grésiller. Bert avait la bouche ouverte et les yeux fermés. Sa figure était tordue comme si elle allait tout d'un seul côté. Moi j'aurais bien voulu qu'on cherche une autre façon de gagner de l'argent.


L'action se déroule pendant la grande dépression  et la violence y est donc aussi sordide, brutale et cynique que l'époque. La dernière phrase montre bien qu'il s'agit en quelque sorte d'une violence de  classe.



Un bond jusque ans les années 90 avec Lawrence Block et sa Danse aux abattoirs.
"-Mick, il a un flingue!
Dans un film,on montrerait la scène au ralenti, et chose curieuse, c'est  que c'est ainsi que je me la rappelle. La main de Stettner entrant dans le coffre- fort, se posant sur un petit pistolet automatique en acier bleuté. La main de Mick serrant le couperet, l'élevant au-dessus de sa tête puis l'abattant en lui faisant décrire un funeste arc de cercle. La lame tranchant net , chirurgicalement, le poignet. La main qui semblait s'envoler, comme libérée du bras.
Stettner pivota, tournant le dos au coffre-fort ouvert et nous faisant face. Son visage était pâle, sa bouche ouverte en une grimace d'horreur. Il tenait son bras devant lui, comme un bouclier. Le sang artériel, aussi brillant qu'un lever de soleil, jaillissait du bras mutilé. Il avança en titubant, en remuant silencieusement  les lèvres et en nous aspergeant du sang de son bras jusqu'à ce que Ballou émette un horrible son guttural et lance à nouveau le couperet qui s'enfonça à la jointure du coup et de l'épaule de Bergen Stettner. Le coup  fit tomber à genoux l'homme mutilé, et nous nous écartâmes.
Stettner s'affala en avant et ne bougea plus.Son sang se répandait sur la moquette grise.
Olga se tenait immobile. je ne crois pas qu'elle ait fait un  geste pendant toute la scène. Elle avait la bouche molle, elle tenait ses mains de chaque côté de sa poitrine, et son vernis à ongles était parfaitement  assorti à la couleur de ses bouts de seins.
Mon regard alla d'Olga à Ballou. Il était en train de se tourner vers elle. Son tablier était rougi par le sang frais, sa main agrippait le manche du couperet.
Je pointai le Smith et Wesson . Je n'hésitai  pas un instant. Je pressai la détente, et l'arme tressauta dans ma main."
Block écrit cette scène finale dans le genre règlement de compte en effleurant la violence. L'image du ralenti cinématographique est parfaitement adaptée à la situation. Il enchaîne les visions et les actes concrets dans un tempo saccadé et démoniaque.



Allez, on boucle avec l'écriture du maître avec un extrait  de Underworld USA .
Visions/ actes/ pensée/ point de vue du personnage et  narrateur omniscient entremêlés.
Et rythme évidemment..
"-Nous sommes détectives privés.
Arnie se leva. Arnie s'agrippa l'entrejambe et dit:
-Détectez-moi ça.
Crutch vit ROUGE. Une pièce ROUGE, des lumières ROUGES, un univers ROUGE.
Il flanqua un coup de pied dans les couilles d'Arnie. Il le plia en deux d'un coup de poing à l'estomac. Il lui frappa la nuque d'une manchette.Il le projeta à plat ventre sur le plancher. Le nez d'Arnie craqua. Du sang jaillit. Arnie s'affala  et chercha à tâtons le fil de son téléphone. Crutch arracha le fil du mur et balança ce putain d'appareil à l'autre bout de la pièce.
Buzz tremblait. Ses lèvres faisaient des choses bizarres.Crutch vit une tâche de pisse sur son jean et capta l'odeur de merde qui provenait de son caleçon.
Arnie battait l'air de ses bras. Le sang qui lui coulait du nez formait une flaque. Crutch posa un pied sur son cou. Arnie cessa de s'agiter. Crutch dit:
-Gretchen  Farr.
Anie émit des gargouillis. Buzz fonça vers les toilettes. Il semblait prêt à vomir. Crutch jeta un mouchoir par terre. Arnie roula sur le dos, se couvrit le nez pour étancher le flot de sang.
Crutch sortit sa fiole. Arnie fit signe de lui donner à boire et renversa la tête. Crutch lui en versa deux petites gorgées. Du Jim Beam, 50 degrés. Arnie suça le goulot, s'étrangla, toussa. Arnie puisa dans son savoir-faire.
Arnie dit:
-Espèce de petit merdeux malfaisant.
Crutch s'accroupit. Il resta à l'écart des mares de sang. Ses circuits fonctionnaient de nouveau tandis que le décor faisait des bonds et tournoyait."

Toutes les violences qui semblent se rejoindre. Une sorte de concentré explosif.
Ce qui a changé ? Le monde messieurs-dames, le monde...
Julius-Marx

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire