jeudi 10 mars 2011

Et les étoiles ne regardent jamais en bas (2)



Curriculum déprimant
L'homme parle. Il donne son nom ; Valence (oui ,comme la ville ).Il parle aussi de son adolescence, de la chance, de la lutte des classes et achève la litanie par le traditionnel un jour viendra.
Outis s'impatiente, est irrité par ce feuilleton grotesque.
-J'en arrive aux faits, dit encore Valence
Outis soupire
-J'ai monté une petite entreprise de films, annonce-t-il en se redressant fièrement.
C'est pas Hollywood, mais, je me débrouille, j'ai des clients sérieux...
-Compliments, grogne Outis
Valence, mauvais acteur, se croit obligé d'imiter le caïd dans un film français des années 50. Il tord la bouche, se rapproche sensiblement d'Outis et chuchote à son oreille
-J'en ai un qui vaut très cher. Et celui, la, il est pas dans le catalogue.
Outis ne demande pas à consulter le catalogue, il a son idée.
-Laisse-moi deviner, demande-t-il, une femme et un bouledogue?
Valence ouvre de grands yeux et lève les mains au-dessus de sa tête
-Non, non, vous n'y êtes pas du tout, c'est pas du porno !
-Alors, c'est quoi?
-C'est un truc dangereux, de la vraie dynamite... C'est pour ça que j'ai décidé de m'adresser à un pro.
Outis fixe l'homme droit dans les yeux
-Bon, d'accord, tu veux vendre un film, tu as les clients?
-Oui, ils m'ont donné rendez-vous.
-Alors, qu'est-ce que je viens faire là-dedans?
Valence baisse la tête, soupire à son tour.
-C'est que, je me disais, le film est dangereux... Alors, les types qui veulent l'acheter sont sûrement dangereux aussi..
-C'est la première réflexion intelligente que j'entends, répond Outis.
Valence se lève, s'étire, faits de grands gestes avec ses bras.
-Ha! Vous voyez bien..
Outis le coupe dans son élan
-T'excite pas, j'ai juste parlé de la réflexion, c'est tout. Dis moi plutôt ce que je viens faire dans ton petit business?
-Mais c'est clair, réponds Valence. J'ai besoin de quelqu'un de sûr pour m'escorter.
-Pourquoi moi?
-On m'a dit que vous étiez sûr, que vous ne posiez pas de question..
-Qui ça, on ? le coupe Outis.
Valence, maintenant totalement perdu dans son numéro d'acteur, cherche le nom dans sa tête, puis se rappelle
-Libman, ça vous dit quelque chose?


Outis accuse le coup
Une infime partie de sa mémoire, qu'il aurait voulu voir disparaître à jamais, se réveille.
Libman : 1m57 et 100 kilos de haine crasseuse. L'image du cafard occupant ses journées à collecter des informations aussi nuisibles et venimeuses que lui, le frôle.
Et puis, une question: qu'est-ce qu'un professionnel comme Libman pouvait bien comploter avec un minable comme Valence ? Qu'est ce qui réunissait ces deux la?
La pédophilie, le même physique repoussant, la même odeur d'urine de chat?
Une chose dont il était persuadé, même la crasse avait sa hiérarchie, quelque chose ne collait pas.
-Vous m'écoutez? demanda Valence
Outis refit surface
-Qu'est-ce qu'il t'a raconté Libman?
-Rien, rien d'important
Outis s'approcha. Valence recula d'un bond. Il se colla à la fenêtre.
-Laisse moi juger de ce qui est important, vas-y, parle!
Il plaque une main ferme sur sa gorge. Valence ne tente pas d'échapper à la prise. Il ressemble à une balle de chiffon. Il manque de souffle, s'étrangle mais, répond, docile
-Que vous travaillez pas beaucoup parce que vous avez des principes... Ca le fait rigoler...Vous êtes toujours fauché...Que c'est pour ça que je devais m'adresser à vous.
Et aussi, que vous parlez jamais à personne de vos affaires...
Outis relâche sa prise. Valence va se réfugier dans un coin de la pièce. Il se masse maladroitement la gorge. L'acteur a perdu de sa superbe. Il change de rôle pour prendre celui du traître qui donne le nom de ses camarades.
Outis se contente de le suivre des yeux. Lorsque le traître se laisse tomber, qu'il rentre la tête dans ses genoux, Outis demande
-Où?
Outis perçoit un "quoi?" étouffé
-Je te demande où doit avoir lieu l'échange.
-A Veninsart, c'est une petite ville bourgeoise dans le Nord de...
-Je sais où se trouve Veninsart
Valence, relève la tête, ouvre de grands yeux
-Ah ?
-A quelle heure?
-Ce soir, a la fermeture de la poste centrale.
-Le nom du contact?
-Davis
-Davis comment ?
-Juste Davis.
C'est au tour d'Outis de se rendre près de la fenêtre. Il regarde les boutiques sur le trottoir d'en face, se masse le menton et se retourne.
-D'accord. Alors, voila ce qu'on va faire. Je t'accompagne là-bas. Davis te donne ton fric. Toi, tu me donnes 2000 euros. Ensuite, tu oublies mon nom et mon adresse, c'est clair?
Valence se relève. Il dodeline de la tête.
-2OOO euros, c'est une somme!
-C'est à prendre ou à laisser.
Valence opère un rapide calcul mental dans sa tête puis grimace.
-Bon, c'est d'accord. A partir de maintenant, c'est vous le chef!
-Alors, tu vas me donner maintenant la moitié de la somme, dit Outis.
Valence fouille dans la poche intérieure de son veston, en ressort une grosse enveloppe brune, sort une liasse de billets et se met à les compter en les posant sur ses genoux serrés.
Outis l'abandonne à ses occupations et se rend dans la cuisine.

Le livre, la recette
Outis sort le poisson du réfrigérateur. Il jette un coup d'oeil sur le livre ouvert.
Le bouillon est prêt. Il pose le Saint-Pierre sur la planche à découper et sort son couteau à filets d'un tiroir.
Il entend la voix de Valence dans l'autre pièce.
-Dites, ça sent drôle dans votre cuisine
Outis ne sourcille pas. La lame du couteau pénètre au plus profond de la chair.
A suivre

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