vendredi 18 mars 2011

Et les étoiles ne regardent jamais en bas (7)



Il s'appelle Davis
Il est le leader d'un trio de malfaisants, qu'il a personnellement recruté pour cette opération. De sa petite tête émergeant à peine d'un gros pull à col roulé, on ne voit pratiquement que ses yeux gris de lémurien qui jaillissent de leurs orbites.
L'hiver est sa saison. Les quatre couches superposées de vêtements qu'il porte compensent son manque de carrure.
Assis sur le siège passager de la voiture, il grimace en constatant qu'il a une merde de chien collée à la semelle de sa chaussure. Il se penche, ouvre la boite à gants.
Il trouve une vieille facture dont il se sert pour nettoyer la crotte.
Les flocons virevoltent / sur le pare-brise la neige compose un tableau impressionniste / il n'écoute pas la radio qui diffuse une pénible rengaine.
Puis, il en-trouve la portière, jette au-dehors le papier souillé, referme la porte.
Il tourne la clé de contact d'un quart de tour. Le tableau disparaît.
Il se tourne, observe encore une fois cette fichue poste.
On dirait plus une prison / alignement de petites fenêtres avec des barreaux / briques /
traits de peinture jaune, bleue.
Il s'occupe maintenant de la crotte de nez gênante à l'intérieur de sa narine droite. L'opération est délicate, Davis s'arrache plusieurs poils, il jure.
Un tic nerveux l'électrise / il ressemble à un jouet de mousse que l'on malaxe pour calmer sa nervosité.
La crotte de nez a capitulé / il la suçote / l'expédie droit sur le tableau de bord.

Dehors
Un homme dans une cabine téléphonique. Il est gras avec un gros nez violacé.
Sa casquette de côté, comme un acteur des années 3O, il fait semblant de téléphoner / son jeu est pitoyable. Il porte aussi un manteau long en poil de chameau, ses baskets sont trempées, les lacets traînent sur le sol de la cabine.
C'est un des hommes embauchés par Davis. Il se demande quand tout ceci va se terminer. Il a très envie de s'enfiler un verre de rhum, histoire de se réchauffer.
Davis a ordonné au troisième de se tenir à l'intérieur de la poste, près des guichets.
Plus loin, un autre homme se dégage vivement de l'arbre sur lequel il vient de pisser et se dirige vers la voiture de Davis.



-Ha, on dira ce qu'on voudra, mais ça fait du bien!
L'homme s'installe au volant. C'est un rouquin négligé d'une trentaine d'années.
Il se frotte les mains avec frénésie.
Davis ne tourne pas la tête.
De sa combinaison avec le lion de la société Peugeot imprimé sur une poche, le rouquin sort un paquet de Gauloises. Il le montre à Davis.
-On peut?
-Non, on ne peut pas.
Le rouquin renifle, rempoche son paquet.
Davis pointe un doigt vers le pare-brise.
Le rouquin tourne la clé de contact d'un quart de tour. Un autre tableau s'envole.
Le rouquin enlève ses gants, souffle dans ses mains et décide de s'occuper un peu de l'ambiance musicale.
Bêlements / bla-bla/ pub/ bêlements/ voix d'un animateur .
-De Madame Henriette..
-Elle habite au Mans?
Le public applaudit
-Ha! Celui la, quel con! dit le rouquin.
Davis pointe encore le pare-brise
Clé/ tableau fichu en l'air.
-Qu'est-ce qui est blanc, rouge à son extrémité et qui sent le pipi?
Davis n'écoute pas la radio. Il pense à la suite des opérations, lorsqu'il aura récupéré le film. S'il a recruté ces trois imbéciles, c'est uniquement pour lui servir de paravent, inutile de prendre des coups quand on peut les éviter.
Lui, le soliste, n'avait jamais aimé les formations.
-C'est une borne kilométrique !
-Celle-la, je la connaissais, fit le rouquin.
Davis coupe la radio.
-Dites, ils sont payés combien ces types-là pour raconter des conneries, hein m'sieur Davis?
Pour toute réponse, Davis pointe encore une fois le pare-brise.

Tempête
Quartier chic. L'avenue des martyrs de la résistance est déserte. Outis remonte le col de son blouson.
L'avenue plonge dans les ténèbres. Sur ses flancs, des allées d'arbres alignés comme en parade et puis, des bâtisses, hideuses cathédrales sombres, flèches pointées vers le ciel, en offrande au Dieu argent.
L'ensemble est droit, régulier, réglementaire.
Outis oblique dans une rue parallèle, moins prétentieuse.
La poste, enfin.
Outis vérifie que l'arme de Valence est toujours bien coincée dans la ceinture de son pantalon. Le contact du canon froid le réchauffe / curieux.

Devant la poste, une cabine
Un gros type avec un drôle de manteau se jette sur lui.
-Hé, mec, t'aurais pas du feu des fois ?
Outis fouille dans sa poche, lui lance une boite d'allumettes.
L'autre allume sa Gauloise, la petite flamme éclaire un court instant une veine bleue et enflée.
-Pas chaud, hein? postillonne le gros, avant d'avaler une grosse bouffée.
-Non, pas très, répond Outis.
Il file droit vers la poste. L'autre le regarde partir et retourne dans sa cabine.
Sur les marches, il s'efface , laisse passer une petite vieille qui parle doucement à un trio de caniches tous enveloppés dans des parkas bleus à motif écossais.
Celui qui a un petit noeud violet dans sa toison bouclée lui répond d'un jappement sec.
La poste centrale, bien au chaud
Odeur d'humidité, mêlée de pisse de chat et d'après-rasage musqué.
Un grand-père en gabardine lutte contre une machine à oblitérer. Il lui parle, l'insulte.
Le match est inégal, la machine couine plus fort que le vieux.
Un autre, couché sur le guichet, rempli un formulaire. L'employée fixe attentivement les fausses dalles du plafond en pensant à sa soirée télé toute proche.
Outis remarque aussi le jeune type appuyé contre le photocopieur, dans une position je-suis-là-mais-faites-pas-attention-à-moi.
Outis décide d'attaquer de front. A-t-il vraiment le choix?
A suivre

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