mardi 22 mars 2011

Et les étoiles ne regardent jamais en bas (10)



Blanquart tape du poing sur le bureau
-Et tu crois vraiment me faire avaler ces conneries !
Le présentoir surchargé de tampon tombe sur le côté.
-Pourquoi me tutoyez vous?
Blanquart se redresse, ouvre de grands yeux
-Qu'est-ce que tu racontes?
-Je dis, pourquoi me tutoyez vous? On a jamais matraqué d'arabes ensemble non?
Blanquart s'approche d'Outis/ deux mains sur les hanches/ ses yeux disent : je vais te mettre en bouillie.
Mais, il ne passe pas à l'acte, se contente de ricaner.
Il tord le cou, sans quitter Outis des yeux, et gueule par-dessus son épaule
-Chanal !

La copie-conforme de Blanquart
avec dix bonnes années de moins, entre dans la pièce /très grand, des joues bien rouges, des yeux pâles et le menton agressif.
-Monsieur le détective de Paris était à la poste par hasard, commence Blanquart sans regarder son subalterne.
-Sans blague ? demande l'autre avec un caricatural accent du sud-ouest.
-Oui, continue Blanquart. En clair, ça veut dire que Monsieur le détective de Paris nous prend pour des ploucs..
Le sous-fifre s'avance.
-En deux mots, il se fiche de notre gueule.
-C'est pas gentil ça, dit Chanal en fixant méchamment Outis.
-Tu l'as dit, renchérit Blanquart en tournant autour des deux hommes.
Il fait un léger signe de tête/ le coup part à une vitesse foudroyante/ le coup d'un tennisman, beau geste du revers de la main. Outis dégringole, entrainant la chaise dans sa chute.
Sur le sol / en position fœtale/ le dossier de la chaise lui martyrise le dos/ des gouttelettes de sang perlent de son nez / Le sang est chaud / la tête de Chanal / sa voix lui parvient de loin, très loin / ses oreilles bourdonnent.
-Alors, maintenant, t'es décidé à répondre au chef ?
Outis grimace, chuchote
-Je t'emmerde, plouc...
Chanal est piqué au vif, il grogne. Après le revers, le coup droit, il est prêt !
Blanquart plaque sa main sur le bras puissant du tennisman.
-Ca va aller, décide-t-il.
Il congédie le subalterne avec un geste de la tête. Le toutou quitte le bureau.
Outis distingue très mal Blanquart /comme dans un bain de vapeur / il lui jette un paquet de mouchoirs en papier / allume un cigarillos / s'accroupit à côté de lui / odeur âcre de cuir brûlé.
-Bon, maintenant, écoute moi bien, commence Blanquart. Ici, c'est une ville tranquille, les citoyens paient leurs impôts, les ordures sont ramassées en temps et en heure et on a planté des fleurs à chaque rond-point. Nous aimons les gens propres : ceux qui vont à la messe et qui donnent des fringues pour les pauvres niakoués, tu me suis?
Outis grimace / crache du sang
-Alors, trois macchabées en une seule après-midi, ça, on peut pas le supporter.
Son visage est maintenant à quelques centimètres de celui d'Outis. Il souffle la fumée de son cigare dans les yeux de son prisonnier. Outis tient le coup.
-Alors, reprend Blanquart, j'écoute..

Putain de film, il est à moi !
Davis est satisfait de son après-midi. Il pense au genre de petit commerce qu'il va pouvoir ouvrir avec la somme d'argent qu'il aura bientôt. Un bar, une discothèque ou un hôtel ?
La voiture stoppe devant un bâtiment de briques rouges et poutrelles au toit plat.
Sur la façade, une planche trop vite clouée fait office d'enseigne.
"Garage Jacky Delplanques-pièces détachés d'origine ou d'ocasion"
Le garagiste s'est même trompé dans l'orthographe de son nom qui ne prend pas de S.
Il coupe le contact, se tourne vers Davis. Il se demande si son chef (les yeux dans le vague, un drôle de rictus installé sur ses lèvres) n' est pas en train de tourner de l'oeil.
Il pose sa main crasseuse sur le bras de Davis
-Hé, m'sieur Davis vous dormez?
Davis sursaute / voit le visage du rouquin penché au-dessus de lui qui demande
-Alors, qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
Il se dégage et grogne
-On entre, imbécile ! t'attends quoi les poulets?



Echouées sur une impressionnante mare d'huile
d'outils, de pièces détachées, trois carcasses de voitures finissent de rouiller.
Les murs croulent d'étagères ou s'entassent: bidons d'huile, pare-chocs, optiques de phares désossés, pièces de ferraille à l'utilité indéfinie.
Le rouquin coince la voiture sous le squelette d'une Motobécane 125 cm2 suspendue à une chaine.
Dans le bureau, sur le mur, une affiche avec une pin-up dénudée, en tenue de cow-boy et à cheval sur un bidon d'huile, promet aux utilisateurs de l'huile Yacco, un record d'endurance.
Dans les cinq mètres carrées surchauffés, le rouquin avait coincé un grand bureau métallique . Sur la moquette maculée de tâches de graisse, un carton d'emballage éventré attendait son berger allemand.
Le rouquin se laisse tomber dans un fauteuil dont le crin sort par gros paquet.
Davis reste debout, face à lui.
-J'aime pas ça..fait le rouquin en pinçant les lèvres et en fronçant le museau.
-On ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs, dit Davis.
L'autre ouvre de grands yeux
-J'comprend pas
-Ca signifie qu'une affaire comme la nôtre comportait des risques, explique Davis.
Les types qui sont entrés dans le coup avec nous le savaient, non?
Le rouquin reste un instant pensif. Puis, il se lève subitement.
En deux enjambées, il rejoint le bureau, ouvre les tiroirs.
Davis le suit des yeux.
-Bon, pour les morts, c'est dommage, concède Davis. Mais, maintenant, on partage plus en quatre mais en deux, t'as réfléchi à ça?
Le rouquin est stoppé net dans son élan. Il laisse tomber la carte d'identité, rafistolée de plusieurs morceaux d'adhésif jaunis, qu'il tenait en main / se masse le menton.
Ses yeux sont élargis, sa bouche pendante.
Le sifflet d'une sirène d'usine, au loin, l'expulse brutalement de sa torpeur.
-Mais... Les flics... Bredouille-t-il.
Il reprend sa carte, fait le tour du bureau.
Au passage, Davis lui saisit le bras.
-Réflechis bien Jacky, conseille Davis, très calmement.
Le rouquin se dégage
-C'est tout réfléchi... Vous me donnez mon fric et je me tire.
Les deux hommes se toisent un moment. Le rouquin soutient difficilement le regard de son vis à vis.
-D'accord, c'est ton choix, annonce enfin Davis en plongeant sa main à l'intérieur de son gros manteau avec une expression placide.
La main ressort du manteau. Elle tient le Glock.
Jacky Delplanque sans S, ouvre la bouche pour crier.
Davis tire dans la bouche grande ouverte / deux giclées de sang suivent ; une sur le bureau, l'autre sur le mur.
Jacky bascule dans le carton du chien/ ses jambes s'étendent convulsivement /se replient/ sa tête tombe à l'extérieur du carton/ un filet de sang, noirâtre comme de l'huile sale, coule de sa bouche, de son nez.
Davis rempoche l'arme.
-Sale petit con, murmure-t-il avant de sortir du bureau.
La sirène de l'usine cesse son chant.
A suivre 

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