"J'aime lire allongée sur un canapé, mais ceci n'est pas une profession, hélas." Fran Lebowitz
mardi 4 janvier 2011
Pierre(s) tombales
Il est là, allongé sur le bitume incertain de la route, recroquevillé sur lui même, gros insecte aux dimensions et formes jusqu'ici inconnues.
Lui, c'est -ou plutôt c'était- le vieil homme qui récupérait le pain rassis dans les poubelles du quartier. Notre écolo est mort; qu'est-ce qui c'est passé?
Des témoins, septiques, se grattent le menton en faisant la mine contrite de ceux qui savent depuis longtemps que l'humanité est perdue. Un grand type décharné explique à tout le monde qu'une voiture a percuté le vieillard et que le conducteur n'a même pas jeté un regard sur sa victime.
Les voitures justement, elles ralentissent légèrement leur allure en passant devant notre attroupement . Si certains conducteurs veulent savoir ce qui s'est passé, d'autres en profitent pour les dépasser dans un concert d'avertisseurs et de jurons.
Qu'importe, le petit scarabée en costume déchiré qui gît là, sur le bitume, n'entendra plus jamais personne.
A quelques mètres seulement, il y a sa mobylette, presque aussi vieille que lui, avec son réservoir rouillé d'où s'écoule un mince filet d'essence.
Toutes ses croûtes de pain autour de son corps, quelle drôle de couronne mortuaire.
Puis, les gens commencent à s'en aller.
Alexandre Outis
(Choses vues)
Je suis de pierre, je suis comme ma propre pierre tombale, il n'y a aucune faille possible pour le doute ou pour la foi, pour l'amour ou la répulsion, pour le courage ou pour l'angoisse en particulier ou en général, seul vit un vague espoir, mais pas mieux que ce que vivent les inscriptions sur les tombes. Pas un mot, ou presque, écrit par moi ne s'accorde à l'autre, j'entends les consonnes grincer les unes contre les autres avec un bruit de ferraille et les voyelles chanter en les accompagnant comme des nègres d'exposition.
Franz Kafka
Journal
LDP Biblio n° 3001
Pour clore ce chapitre, ajoutons cette phrase de Léonardo Sciascia : " C'est étrange, pensa-t-il, comme en traversant un cimetière on se sent bestialement vivant."
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