vendredi 7 janvier 2011

Scénario


-J'irais bien voir un film étranger, a-t-elle dit .
Avec une jeune Italienne qui serait enceinte et non mariée. Ca se passerait dans une ville d'eaux; Marcello Mastroianni fumerait plein de cigarettes sans s'inquiéter de leur effet sur le bébé. On trouverait dans cette ville d'eaux des pâtisseries très compliquées qui ressembleraient à des bretzels. Il y aurait une sage-femme bilingue,
et toutes les voitures seraient basses sur pattes. L'héroïne se promènerait parfois en voiture avec Mastroianni.
Ils joueraient parfois aux échecs, qu'ils appelleraient  "les étchecs". La fille saurait seulement jouer aux dames, qu'ils appelleraient "les dèmes". Quand elle dirait " je suis étchecs et mat", il riraient et Mastroianni lui offrirait une limonade, une bague, des babioles. Finalement, le bébé naît, tout rose et ravissant. Ils font venir une nourrice du village, mais le bébé ne veut pas entendre parler de cette inconnue. Et le bébé retourne auprès de sa mère... Par succion.
-C'est impossible, Iris. Un bébé, ça ne vole pas à travers les airs par succion.
-C'est un film, maman.
-Et Marcello Mastroianni ? Est-ce qu'il arrive aussi par succion? Quand ton père me faisait la cour, j'avais l'impression de vivre dans un film en vrai. Il habitait une pension. La femme qui s'occupait de l'endroit élevait d'énormes lièvres belges. Lorsque cette dame dormait les lièvres belges montaient la garde en bas de l'escalier. Ils avaient deux grandes incisives, et dès qu'on ne montait pas l'escalier d'un pas lent et digne, l'un de ces gros lapins te plantait ses crocs dans la jambe!
-Que faisais-tu donc en haut de l'escalier de la pension de papa?
-Certainement pas ce que vous croyez, ma chère.
-Je n'en doute pas.
Un silence, puis Betty a dit:
-Je ne veux pas laisser passer ce que tu viens de me dire.
-Alors, ne le laisse pas passer.
-C'est affreux, mais je crains que tu n'aies confondu ta morale avec la mienne.
-Quelle remarque agréable, a dit Iris d'une voix brisée.
-Il n'y a que la vérité qui blesse.
-Espèce de salope.
Les deux femmes s'étaient redressées, leurs têtes munies de réflecteurs l'une en face de l'autre, tels deux tournesols malheureux qui opineraient doucement.
-Tu n'entendras jamais cet enfant te traiter de ce que tu viens de me traiter, a dit Betty. Tu ne l'entendras pas te dire quoi que ce soit.
Thomas Mc Guane 
"Le Millionnaire" in "Comment plumer un pigeon"
(Christian Bourgois)
"Tel deux tournesols malheureux qui opineraient doucement" L'image est belle, bien plus qu'une véritable métaphore. On se permet de donner une âme à sa création.
Ceci me fait penser à deux phrases de John Fante dans "Le vin de la jeunesse" (10/18 n° 1998)
-Il a caressé mes cheveux; malgré leur épaisseur j'ai senti la sécheresse et la tristesse de sa main.
-Mais Mike reculait de terreur devant les mains mélancoliques de son oncle.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire