mardi 11 janvier 2011

Brautigan mode d'emploi


J'ai essayé de te décrire à quelqu'un, il y a quelques jours. Tu ne ressembles à aucune autre fille.
Je ne pouvais pas dire:-Eh bien, elle ressemble à Jane Fonda, sauf qu'elle a les cheveux roux, qu'elle n'a pas la même bouche, et que bien sur ce n'est pas une vedette de cinéma.
Je ne pouvais pas dire cela parce que tu ne ressembles pas du tout à Jane Fonda.
J'ai fini par te décrire en te comparant à un film que j'ai vu quand j'étais enfant à Tacoma. Dans le Washington.
Je crois que c'était en 1941 ou 1942, quelque chose comme ça. Je devais avoir sept ou huit ans, ou peut-être six. C'était un film sur l'électrification à la campagne, le type même du film moral des années trente, au temps du New-Deal, parfait pour les enfants.
Le film montrait la vie de fermiers à la campagne sans électricité. Il leur fallait des lanternes pour s'éclairer la nuit, pour coudre et lire, et ils n'avaient aucun de ces appareils ménagers que sont les grille-pain ou les machines à laver, et ne pouvaient pas écouter la radio.
Puis ils construisirent un barrage, avec de grandes génératrices d'électricité; ils plantèrent des poteaux dans toute la campagne et tendirent des fils à travers champs et prés.
Il y avait quelque chose d'incroyablement héroïque qui émanait du simple fait de planter des poteaux pour soutenir les fils.Ils avaient l'air anciens et modernes en même temps.
Puis le film montra l'électricité, comme un jeune dieu grec venu vers la fermier pour l'arracher aux ténèbres de sa vie.
Soudain, le fermier avec ferveur tournait un bouton et il avait de la lumière électrique pour traire ses vaches, à l'aube, dans les petits matins sombres de l'hiver.
Les familles des fermiers purent alors écouter la radio et avoir des grille-pain et des tas de lumières vives près desquelles ou pouvait coudre des robes et lire le journal.
C'était vraiment un film extraordinaire, qui m'emplissait d'enthousiasme comme quand j'écoutais la bannière étoilée ou que je voyais des photos du président Roosevelt ou que je l'entendais à la radio.
"....Le président des Etats-Unis....."
Je voulais que l'électricité aille partout dans le monde. Je voulais que tous les fermiers du monde puissent écouter le président Roosevelt à la radio.
C'est à cela que tu ressembles, pour moi.
Richard Brautigan
"J'ai essayé de te décrire à quelqu'un "-in " La vengeance de la pelouse"
10/18 n° 1893
Parler de Richard Brautigan est aussi facile que de vivre avec le mépris des armes ou de l'argent aux EU.
Comment cerner de façon efficace et en prenant soin de ne pas adopter la prose des attachés de presse;  un poète qui n'écrivait pas vraiment de poésie, un écrivain du Montana qui préférait vivre entre San-Francisco et Tokyo, un trublion dépourvu de style qui s'est payé le luxe d'inventer un nouveau genre narratif, et enfin, un amoureux de la vie, des femmes et des petits plaisirs (les deux ne sont pas forcément liés) qui s'est fait sauter le caisson à quarante ans ?
Comment faire?
Eviter le problème en conseillant aux internautes de filer sur le site de son grand copain Harrison pour lire la page spéciale que lui a consacré Big Jim?
Se mettre à recopier des nouvelles comme "La plus petite tempête de neige jamais recensée " ou
" L'irrévocable  tristesse de son merci beaucoup"  ? Pourquoi pas...
Il est possible aussi de se lancer dans une tirade du style "depuis que j'ai lu Brautigan, je ne suis plus le même.." ou bien encore " Brautigan , le plus grand auteur américain ..etc"
Non, impossible, déjà vu, déjà entendu..
Il y a aussi la méthode "préface" dans laquelle on  souligne les grandes étapes de la vie de l'auteur, en prenant bien soin de raconter aussi quelques anecdotes croustillantes comme l'a si joliment fait le professeur truc-machin en énumérant dans l'ordre: les penchants pour l'alcool  et les substances illicites de l 'individu, son amour des femmes de bonne et mauvaise compagnie, du Japon et de ses grosses moustaches (éléments indispensables à qui veut comprendre l'oeuvre.)
La dernière méthode en date (du moins, celle que j'ai lu il n'y a pas longtemps  sur son blog)  étant celle de l'écrivain Philippe Djian qui propose tout bêtement de ne pas parler de Richard coeur de lion,  ceci dans le but clairement avoué de le garder simplement pour nous, voila, c'est tout.
Bon, de fait, c'est vrai, il ne s'agit que de nouvelles, un genre si mineur!
Et puis, même les romans comme " L'avortement" , " Un général sudiste de Big Sur" ou" Un privé à Babylone" ne sont même pas des vrais romans, alors...
Non, rien à faire, je renonce..
Ah, ça, oui... Il  doit bien se marrer.

2 commentaires:

  1. Richard Brautigan, grâce à P.Julius, tout simplement magnifique et drôle et efficace et frais et et et... Merci Richard et merci P

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  2. RB aurait aimé , c'est sûr...
    Merci

    Bernadette

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